Le « Miroir des Princes » – Ronsard

Posté le Lundi 12 avril 2010 par Sophie Déméautis

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Ou l’éducation des princes

« INSTITUTION POUR L’ADOLESCENCE DU ROI TRÈS CHRÉTIEN CHARLES IX » – Ronsard XVIe siècle

Sire, ce n’est pas tout que d’estre Roi de France,
Il faut que la vertu honore votre enfance,
Un Roi, sans la vertu, porte le sceptre en vain,
Qui ne lui sert sinon d’un fardeau dans la main.

(…)

Car les princes mieux nés n’estiment leur vertu
Procéder ni de sang ni de glaive pointu,
Ni de harnois ferrés qui les peuples étonnent,
Mais par les beau métiers que les Muses nous donnent.

(…)

Connoissez l’honneste homme humblement revêtu,
Et discernez le vice, imitant la vertu.
Puis sondez votre cœur, pour en vertu accroistre ;
Il faut, dit Apollon, soi-mesme se connoistre ;
Celui qui se connoist est seul maistre de soi,
Et sans avoir royaume il est vraiment un roi.

Commencez donc ainsi puis sitost que par l’âge ;
Vous serez homme fait de corps et de courage,
Il faudra de vous même apprendre à commander,
A ouïr vos sujets les voir et demander,
Les connoistre par nom et leur faire justice,
Honorer la vertu et corriger le vice.

Malheureux sont les rois qui fondent leur appui
Sur l’aide d’un commis ; qui, par les yeux d’autrui
Voyant l’état du peuple, entendent par l’oreille
D’un flatteur mensonger qui leur conte merveille.

Aussi, pour estre roi, vous ne devez penser
Vouloir, comme un tyran, vos sujets offenser.
Ainsi que notre corps, votre corps est de boue.
Des petits et des grands la fortune se joue.
Tous les regrets mondains se font et se défont,
Et, au gré de fortune, ils viennent et s’en vont,
Et ne durent non plus qu’une flamme allumée,
Qui soudain est éprise et soudain consumée.

Or, sire, imitez Dieu lequel vous a donné
Le sceptre, et vous a fait un grand roi couronné.
Faites miséricorde à celui qui supplie ;
Punissez l’orgueilleux qui s’arme en sa folie.

Ne soyez point moqueur ni trop haut à la main,
Vous souvenant toujours que vous estes humain ;
Ayez autour de vous personnes vénérables,

Et les oyez parler volontiers à vos tables :
Soyez leur auditeur, comme fut votre ayeul,
Ce grand François, qui vit encores au cercueil.

Ne souffrez que les grands blessent le populaire ;
Ne souffrez que le peuple aux grands puisse déplaire ;
Gouvernez votre argent par sagesse et raison :

Le prince qui ne peut gouverner sa maison,
Sa femme, ses enfants et son bien domestique,
Ne sçauroit gouverner une grand’ république.

Or sire pour autant que nul n’a le pouvoir
De chastier les rois qui font mal leur devoir,
Punissez-vous vous-même, afin que la justice
De Dieu, qui est plus grand, vos fautes ne punisse.

Je dis ce puissant Dieu, dont l’empire est sans bout,
Qui de son trosne assis en la terre voit tout,
Et fait à un chacun ses justices égales,
Autant aux laboureurs qu’aux personnes royales.

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